Lors de la session parlementaire de décembre 2011, le rapport relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission a été adopté à une large majorité (394 votes en faveur, 197 votes contre, 35 abstentions.
Le débat sur l’accessibilité des données oppose le Parlement européen à la Commission et au Conseil: explications des tenants et aboutissants de ce débat au cœur des questions de transparence.
L’article 15.3 du traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 stipule que «tout citoyen de l’Union [...] a un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, quel que soit leur support». Concrètement, il s’agit d’abord d’assurer un accès libre aux documents officiels des institutions européennes, organes et agences inclus (jusqu’alors seuls le Parlement, le Conseil et la Commission étaient concernés).
Les modalités de mise en œuvre de cette disposition divisent la Commission européenne et le Parlement européen. La première considère en effet qu’aucun cadre juridique n’est applicable à toutes les institutions, alors que pour le second les dispositions du traité sont directement applicables. La Commission a ainsi proposé une réglementation (COM(2008)0229) devant permettre de mettre la législation communautaire en conformité avec le traité de Lisbonne. Le rapport (dit « rapport Cashman » du nom de son rapporteur) débattu en décembre 2011 au Parlement européen visait à amender cette proposition et a souligné les points de divergences entre les institutions communautaires.
De quels « documents » parle-t-on ?
Le spectre des institutions concernées par ce texte est un premier élément de désaccord entre le Parlement d’une part, le Conseil et la Commission de l’autre :
Proposition de la Commission (COM(2008)0229) : “accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission” (titre)
Rapport du Parlement (adopté le 15/12/2011) : “droit d’accès aux documents des institutions, organes ou organismes de l’Union européenne” (amendement 1)
Le Parlement soutient donc une accessibilité plus large des documents officiels, ce que corrobore l’amendement 12 proposé par le rapport Cashman : alors que la Commission propose « un accès plus large » (considérant 12), le Parlement invite lui au « plein accès » (amendement 12). Les opposants du « plein accès » (Commission, Conseil, députés PPE) arguent du coût d’une telle mesure comparé aux bénéfices concrets pour la transparence et la démocratie (avançant le fait que ce sont les cabinets de lobbying plus que les citoyens européens qui profiteraient le plus de cette mesure).
La définition du terme « document » fait elle aussi l’objet d’une discorde :
Proposition de la Commission (COM(2008)0229) : a) «document»: tout contenu quel que soit son support (écrit sur support papier ou stocké sous forme électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel) établi par une institution et formellement transmis à un ou plusieurs destinataires ou autrement enregistré, ou reçu par une institution; des données contenues dans des systèmes de stockage, de traitement et d’extraction électroniques sont des documents dès lors qu‘elles peuvent être extraites sous une forme imprimée ou sous la forme d’une copie électronique à l’aide des outils disponibles pour l’exploitation du système ; (article 3)
Rapport du Parlement (adopté le 15/12/2011) : a) « document »: tout contenu de données quel que soit son support (écrit sur support papier ou stocké sous forme électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel) concernant une matière relevant de la compétence d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union européenne. Des données contenues dans des systèmes de stockage, de traitement et d’extraction électroniques, y compris les systèmes externes utilisés pour le travail de l‘institution, constituent un document, notamment si elles peuvent être extraites à l’aide de tout outil raisonnablement disponible pour l’exploitation du système concerné. Toute institution, organe ou organisme qui entend créer un nouveau système de stockage électronique ou modifier profondément un système existant en évalue les incidences potentielles sur le droit d’accès, veille à ce que le droit d’accès soit garanti en tant que droit fondamental et prend les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de transparence. Les modalités d’extraction des informations contenues dans les systèmes électroniques sont adaptées afin de répondre aux demandes du public ; (amendement 30)
La définition du terme de document par le Parlement est donc plus large, incluant toute production des institutions, organismes et agences européennes qu’elle soit au format papier, informatique ou audiovisuel.
Si, suivant le texte de la Commission, la proposition du Parlement précise qu’il peut y avoir des exceptions, elle ajoute que celles-ci doivent être strictement encadrées et limitées aux questions de sécurité publique ou de droits de la propriété intellectuelle, si sauf en cas « d’intérêt public supérieur justifiant la divulgation ». Par ailleurs le rapport Cashman appelle à l’uniformisation de la classification des documents internes de l’ensemble des institutions communautaires, afin de la rendre plus claire.
Selon l’ONG access-info.org, il s’agit d’une bonne proposition de la part du Parlement européen en cela qu’elle « trouve le juste milieu entre l’“espace de réflexion” des institutions européennes et la transparence des processus législatifs requises par le traité de Lisbonne » [1]… mais cette opinion n’est pas partagée par tous les acteur concernés.
Que deviendra ce rapport ?
Dès le début 2012, il fera l’objet de discussions entre le Parlement, la Commission et le Conseil afin d’obtenir un accord entre ces trois parties… ce qui ne s’annonce pas des plus aisés.
Malgré l’intérêt des autorités danoises pour les questions de transparence, la Commission et le Conseil demeurent frileux sur les questions d’accessibilité des données. Selon Michael Cashman (UK), rapporteur de ce rapport, « [i]l y a de la résistance au Conseil, il veut en rester à ce qu’il a donné en 2001» [2], et de préciser que le Conseil est favorable à l’introduction d’un veto sur les documents des tiers (ie provenant des Etats-membres), ce que rejette formellement le rapport Cashman. Quant à la Commission, Maroš Šefčovič, commissaire chargé des relations inter-institutionnelles et de l’administration, a déjà précisé lors du débat de décembre que la Commission ne pourrait pas accepter beaucoup des changements proposés par le rapport et qu’un « accord risquait de prendre du temps ».
L’adoption du rapport Cashman par le Parlement ne se traduira pas immédiatement par un meilleur accès aux documents officiels de l’UE mais ouvre une nouvelle phase de négociations entre les institutions européennes. Rendez-vous est pris pour 2012.
ENTENDU LORS DU DEBAT AU PARLEMENT DU 14/12/2011 : Michael Cashman (UK), S&D: What we are talking about is a right that allows citizens and their representatives outside Parliament and the institutions to make sure that we are accountable: parliamentarians accountable for what we do in their name; the Commission accountable for what they do; and equally the Council of Ministers accountable too. [...] It would also, I believe, destroy the media myth that unpopular measures from Brussels are imposed on national governments, whereas the contrary is true. [...] Maroš Šefčovič, Vice-president and commissioner for inter-institutional relations and administration: [T]he regulation is regularly misused by lobbyists or law firms with a view to obtaining information serving their own private interests. As these requests mostly concern very voluminous files – 50 000 pages is not an exception – the Commission considers that the handling of such requests is excessively resource-consuming, with no added value for citizens. [...] To sum up the Commission will look carefully at the amendments that will be voted by this Parliament but, let me be very clear, many cannot be accepted by the Commission. Renate Sommer (DE), PPE: This report is not in the interest of our citizens. It would cause a flood of useless information. It would make our work impossible and, above all, it is not acceptable to the other institutions because it violates applicable laws and regulations. You know this, Mr rapporteur, and basically you are working towards further transparency and against the citizens. Hubert Pirker (DE), PPE: If I were a trafficker of human beings, if I were a terrorist, if I were an enemy of a successful European Parliament, or if I were an opponent of democratic structures and decision-making processes, I would then vote for this report by Michael Cashman. Since I am neither the one nor the other, I am going to vote with conviction against this report. |
Pour aller plus loin Ressources officielles Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (COM(2008)0229) Parlement européen, Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (refonte) (COM(2008)0229 – C6-0184/2008 – 2008/0090(COD)) (adopté le 15/12/2011) Parlement européen, communiqué de presse, Accès du public aux documents: plus de transparence au sein de l’UE, 15/12/2011 Médias / Société civile Theparliament.com : EU Parliament backs report calling for opening up of EU institutions, 15/12/2011 |